Je suis un insoumis
Expert en fanfaronnades de mauvais goût, le maestro sut pourtant tenir son rang en toutes circonstances. Se marrer oui, déconner comme un beauf, mais ne pas se carapater quand la France rancie vous défie de toute sa lourdeur. En janvier 1980 à Strasbourg, c'est seul sur scène que Gainsbourg chantera l'hymne national devant 200 parachutistes venus en découdre. Auparavant, il avait veillé à mettre à l'abri ses musiciens rastas. «Je suis un insoumis... et qui a redonné à «la Marseillaise» son sens initial !», hurle-t-il alors, frêle, visiblement ému et tout à fait émouvant, avant d'entonner poing levé l'air fameux de Rouget de Lisle.
Attaqué peu de temps auparavant par un «Figaro» ne rechignant pas à jouer entre les lignes de stéréotypes antisémites, l'auteur d'«Aux armes et cætera» avait ce soir-là retrouvé la colère de Lucien Ginzburg, son vrai patronyme, l'enfant de 12 ans qui porta l'étoile jaune. On laissera ceux qui ne voulurent voir là qu'une fumisterie nihiliste de plus à leur manque de sens du kairos, cet instant décisif identifié par les anciens Grecs. Gainsbourg, une passion française qui fut si intense et demeura cependant si fragile.
Aude Lancelin
Le Nouvel Observateur